Rue Reper-Vreven (Heysel) : La suppression de 10 places de parking met à mort la supérette du quartier.
Il y a 12 ans, Fikri Gultekin s’est installé sur la petite place de la rue Reper-Vreven, dans le quartier du Heysel. Malheureusement, les travaux de rénovation de la place et la disparition de 10 emplacements de parking ont détruit son commerce. L’homme est à genoux. Il devra fermer avant l’été 2023.
Question : Bonjour. Nous sommes ici dans votre petit supermarché de quartier. C’est une franchise Louis Delhaize, dont vous avez fait un lieu mixte et convivial. On peut acheter un sandwich et il y a un coin avec quelques tables, où prendre son café. Vous êtes bien connu et apprécié dans le quartier et ça fait douze ans que le magasin fonctionne. Bien sûr, vous avez souffert de la crise du Covid, comme tout le monde, mais l’un dans l’autre, vous vous en étiez sorti. Pourtant, aujourd’hui, vos frigos sont à moitié vides et c’est la galère. Expliquez-nous ! Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Fikri Gultekin : Depuis le 19 avril 2022, ils ont commencé des travaux ici sur le rond-point pour refaire la place Reper-Vreven, qu’on va changer de nom et appeler place Marsupilami. Et, pour faire les travaux, ils ont bloqué les rues pendant plusieurs mois, d’où il n’y a plus eu de passage de voitures, donc plus de visibilité. Donc, nous, ici, nous avons des difficultés depuis le 19 avril et là maintenant, ça devient une catastrophe terrible. À l’occasion des travaux, ils en ont profité pour supprimer une dizaine de parkings pour voitures. En plus, certaines personnes, elles avaient une espèce d’entrée cochère devant leur maison, où on pouvait plus ou moins se garer. Ça aussi, ils l’ont supprimé.
Donc, avant, les gens pouvaient se garer pendant quelques minutes et repartir facilement. Ils avaient le temps de se garer, et de venir faire leurs courses. Et un emplacement, ça tourne plusieurs fois par jour. Et depuis qu’ils ont supprimé les places, les gens ne savent plus se garer, donc c’est très compliqué. Parfois, ils se garent en double file, ou ils essayent de se mettre entre deux piquets, ou sur la place handicapée. Mais les policiers à vélo passent tout le temps pour coller des amendes. Et une personne qui reçoit une amende de 110 € ou 160 €, elle ne va plus venir prendre un sandwich et un café, parce que ça coûte trop cher. Résultat, nous avons énormément de difficultés.
Q : Vous avez perdu quelle part de votre chiffre d’affaires avec le nouvel aménagement ?
FG : 40 % à peu près ! C’est impossible de continuer ! Impossible ! Déjà avant, quand on avait le chiffre complet, on s’en sortait juste. On ne gagnait pas beaucoup d’argent, surtout avec la baisse d’activité pendant les congés scolaires, mais on s’en sortait ! On payait tout le monde, les frais étaient payés, les charges, tout était payé. Maintenant, depuis les travaux on a 40 % en moins c’est énorme !
Je vais devoir tout fermer… On va donner notre préavis au franchiseur. Il y a un préavis de six mois pour enlever l’enseigne, mais on ne tiendra pas six mois. On espère au mieux aller jusqu’aux congés scolaires. Dès que l’année scolaire est finie, je vais commencer à fermer. Et ça fera deux personnes de plus au chômage, plus des étudiants et des stagiaires que je prenais de temps en temps.
Mais, ce n’est même pas sûr que je tiendrai jusque là. Ils sont déjà venus deux fois pour couper l’électricité parce que nous ne savons plus payer nos factures. J’ai demandé d’avoir un peu de compassion, d’essayer de pouvoir trouver une solution. Et ils ont dit qu’il n’y a pas de solution. À un moment donné, ils vont venir avec la police pour couper. Et, si je ne laisse pas faire, ils vont ouvrir le trottoir pour couper le câble. J’ai des surgelés et des biens périssables, moi. S’ils coupent l’électricité, ça sera la fin parce que tout ce qui est périssable va disparaître. Le magasin devra fermer du jour au lendemain.
Q : Tout ça pour dix places de parking et deux mois de travaux ?
FG : Mais beaucoup plus ! Les travaux devaient durer 80 jours ouvrables, mais au final, ça a pris plus de 6 mois. Ils ont commencé le 19 avril 2022 et ça a duré jusqu’au mois de décembre. Mais, il n’y avait pas beaucoup de monde sur le chantier. Et pendant les congés, de juillet-août, il y avait même personne ! On aurait pu terminer deux mois plus tôt. Mais malgré tout, ça n’aurait pas suffit. Maintenant que les travaux sont terminés, cela n’a pas évolué pour nous. Il y a juste quelques voitures qui passent. Mais ils essayent de filtrer le maximum possible pour que les voitures ne passent pas par ici et ils essayent de mettre plein de difficultés pour les conducteurs pour réduire le passage. Mais s’il n’y a pas de passage, il n’y a pas de visibilité et pas de clients.
Q : Et vous aviez prévenu les autorités de la Ville de Bruxelles ?
FG : Mais oui ! On avait une réunion à la Grand-Place avec l’échevin de la Mobilité et plusieurs personnes du quartier et j’avais dit ça ! Je l’avais déjà dit avant de commencer les travaux. Avant que l’échevin ne fasse son plan de mobilité, je lui avais dit que j’allais souffrir s’il supprimait du parking. Aussi s’il change la direction des voitures pour les dévier, parce qu’en fait, il ne veut pas que les gens traversent le quartier. Je lui ai dit que j’allais probablement devoir fermer. Et voilà ! C’est ce qui est occupé à se faire.
L’échevin, il m’avait dit qu’il ne fallait pas s’en faire et que les cyclistes allaient venir faire beaucoup de courses. Mais, depuis ce jour-là, je ne vois pas de cyclistes venir faire leurs courses. Il n’y a personne qui vient acheter des fruits ou des légumes ou autres, mettre sur son vélo et partir. Les cyclistes ne sont pas venus remplacer les automobilistes. On a mis des aménagements, quelques barres pour qu’ils garent leur vélo, mais ce n’est pas pour ça qu’ils vont venir. Alors, l’échevin, il dit que les quelques enfants qui vont jouer sur la place, ils vont venir faire des courses, ils vont venir acheter une glace ou un Capri-Sun. Sérieusement, ce n’est pas avec ça que je pourrais faire mon chiffre.
Q : Un peu plus bas, sur la rue Reper-Vreven, il y a 6 ou 7 petits commerces. Vous pensez qu’ils vont s’en sortir ?
FG : Oh, non ! Ça va s’aggraver en bas. Maintenant, à la Ville, ils veulent faire des kiss and ride un petit peu en dehors de la zone. Les gens vont pouvoir se garer un quart d’heure. Mais, en un quart d’heure, personne ne peut aller déposer son enfant à l’école, venir faire ses courses et retourner à sa voiture. C’est impossible. Alors donc, ça veut dire que quand les gens vont déposer leur enfant, ils vont directement retourner à leur voiture parce qu’ils n’auront pas le temps.
Donc s’ils font leur kiss and ride, il y aura encore moins de passage. Mais, en fait, c’est leur but de faire un endroit où il n’y aura rien, juste un espèce de piétonnier où les gens ne passent pratiquement pas. Il y aura uniquement les riverains qui passeront. Mais le quartier, ça ne suffit pas comme clientèle, c’est pas assez.
Les commerçants d’en bas, ils vont aussi automatiquement souffrir parce que les gens ne pourront plus passer par là. Donc les gens de l’extérieur ne pourront plus rentrer dans cette zone. Et quand les gens ne peuvent plus rentrer, ils ne vont plus voir les magasins. Et, s’ils ne peuvent plus voir, ils ne vont pas acheter.
Son but, à l’échevin de la mobilité, c’est de faire du Good Move. C’est de supprimer tout le passage dans le quartier et donc le quartier, il va mourir. Commercialement, ici, c’est déjà mort ! Je suis le plus grand commerçant. Si je souffre, moi, vous croyez que, les autres commerçants, ils ne souffriront pas ?